Nous devinons le Mayero grâce à ses deux lampes de mouillage qui dansent dangereusement. Nous savons qu’il s’agit bien de lui car dans le bruit assourdissant des rafales et du tonnerre, un éclair proche le fait apparaître succinctement, tel un spectre dans la nuit noire… Les feux clignotants rouges de la Belle Lurette, le bateau de nos amis, mouillée plus loin ne semble pas en danger et je ne suis pas inquiet pour elle. Et pour l’heure , bien sûr je reporte toute mon attention sur notre cher voilier : les 40 mètres de chaîne sur les 10 mètres de fond seront-ils suffisants ? L’ancre se raccrochera t’elle correctement dès que le vent tournera inévitablement ? Au printemps déjà , nous avions subi ce type d’orage très violent. Mais cette fois là nous étions à bord et nous avions pu intervenir pour faire face aux éléments. Tandis que maintenant il nous est strictement impossible de rejoindre le Mayero : les rafales et la mer qu’elles ont soulevée sont telles qu’il est impensable de monter dans l’annexe. Le temps paraît infiniment long et l’accalmie improbable à ce moment. Je crie à Chantal « j’aimerais bien que cela s’arrête » Mais il s’agit bien sûr d’une incantation inutile pour calmer mes craintes et mon impatience car je sais bien que nous ne pouvons rien faire.
Comment en étions nous arrivés là ?Surtout quand nous nous rappelons que les deux capitaines se doutaient à l’avance qu’il allait se passer quelque événement désagréable. Jacques de Belle Lurette avait même dit dans l’après midi qu’il n’y avait plus qu’à attendre l’orage. Moi même j’avais confié en arrivant à terre à notre copain britannique que sans notre rendez vous de ce soir là, je serais parti mouiller dans une baie plus protégée ! Hé bien tout est parti de la commande, la veille, d’une superbe soupe de poisson au chapon (grande rascasse) que nous allions partager avec l’équipage de Belle Lurette et celui de Polly Argo qui pour le moment s’était installé à l’hôtel tout proche en attendant le retour en pays de Galles… Nous avons profité du taxi de Belle Lurette pour nous rendre à terre. J’avais bien pensé mettre le moteur de notre annexe sur le Mayero avant de rejoindre la terre mais pris par d’autres occupations, j’avais oublié de le faire. A la taverna, tout était prêt pour nous accueillir. Nos amis gallois avaient choisi une table sous la grande tonnelle, bien protégée par des rideaux translucides qui n’empêchaient donc pas d’avoir la vue sur la baie. Le repas fut succulent et l’ambiance excellente. Chantal, la mieux placée pour observer l’extérieur, nous faisait part quelquefois qu’il y avait des éclairs importants au loin mais nous étions trop occupés à goûter ces moments délicieux et le bon vin pour nous en inquiéter outre mesure. Nous aurions du être plus attentifs à ce qu’elle disait… D’un coup, un bruit d’enfer remplit l’espace ; tout se met à trembler ; le toit de la terrasse commence à se soulever et à battre à tel point que nous pensons qu’il va se décrocher. D’ailleurs tout s’envole autour de nous : des serviettes, des feuilles,des nappes, les chaises… Il nous faut un certain temps pour comprendre ce qui se passe et nous ne sommes pas les seuls : le personnel du restaurant est prostré. Comme eux , nous émergeons petit à petit . L’effet de surprise énorme passé, nous comprenons qu’il s’agit d’un orage hors du commun. L’eau coule partout, les grosses poubelles à roulettes sur la rue ont quitté leur emplacement et se déplacent à une vitesse inimaginable, le couvercle ouvert. Dans un premier temps nous cherchons l’abri, puis à l’instar des proprios de la taverna, nous commençons à rentrer le maximum à l’intérieur des bâtiments. Un des grecs essaie de fermer l’entrée avec des grandes baies vitrées : mission presqu’impossible pour un homme seul tant elles battent au vent. Nous les aidons. Une fois l’entrée fermée, nous sommes tous abasourdis à l’intérieur. Nous ne mesurons pas les dégâts et nous sommes obligés d’insister à plusieurs reprises pour avoir la note… Malgré tout, dès que j’ai pu, j’ai cherché dans la baie les feux du Mayero et Jacques ceux de la Belle Lurette. Nous distinguions mal si loin et je me sentais mal à l’idée que le Mayero pouvait riper sur son ancre. Malgré le temps qui ne s’améliorait pas j’avais besoin de sortir à l’extérieur, comme pour montrer au Mayéro que j’étais avec lui dans cette épreuve. ..
…L’accalmie vient enfin ! Il nous faut attendre plusieurs dizaines de minutes avant que la mer ne devienne maniable. Il pleut encore mais le vent est quasiment tombé. Certes le Mayero et Belle Lurette sont là, mais nous avons hâte de nous rendre compte de visu si les bateaux ont subi quelques dégâts. Notre taxi favori nous ramène à bord : incroyable ! l’annexe est dans le bon sens. Apparemment seul le bimini est éclaté. Malgré la présence de quelques objets sur le plancher de la cabine et quelques affaires mouillées, rien de grave. Il faudra attendre le lendemain matin pour que je me rende compte que l’annexe s’est trouvée à l’endroit par hasard et qu’en fait elle avait dansé une rumba du diable en effectuant à plusieurs reprises des haltes sur l’envers . Résultat le moteur est out. Je suis vert et de très mauvaise humeur contre moi : pour une fois j’ai négligé une des règles fondamentales du bord en oubliant de remonter le moteur hors bord ! En rentrant à bord nous découvrons le mail de Troll avec pour intitulé: alerte orage. il nous décrit son enfer à Vivari: annexe retournée, foc déchiré en ce qui les concerne et plus loin bateau coulé. Belle Lurette par SMS nous informe que seules, des affaires sont trempées. Nous entendons alors le bruit d’un moteur puissant poussé à fond qui provient de l’autre côté de la baie: nous en déduisons qu’il s’agit du bateau qui était au mouillage à cet endroit et qui n’a pas tenu sur son ancre et qui s’est échoué sur la plage. Nous assistons pendant un long moment au sauvetage, et après de nombreuses tentatrives infructueuses, les feux du voilier commencent à se redresser et rejoignent enfin l’eau lbre
. Le lendemain matin, me rendant compte que le hors bord était noyé, je prends rendez vous avec le petit chantier d’entretien que nous connaissons et leur confions le bimini et le moteur. Un équipage belge qui arrive de Poros ville en annexe nous apprend alors qu’un voilier français à quai a coulé et que de nombreux bateaux, y compris de grosses vedettes ont subi des dégâts considérables. Ceci nous renforce encore s’il en était que nous préférons être au mouillage. Il nous apprend également que les rafales ont dépassé les 65 noeuds pendant 20 minutes, du jamais vu sur Poros. Lui contant notre histoire, l’homme nous propose la morale suivante: “un marin doit toujours se fier à son instinct!” Voila qui est bien dit mais qui n’atténue en rien mon erreur de débutant concernant le moteur. Dimanche 13h30. Nous sommes à bord et je puis vous dire , mes petits amis que nous avons vraiment apprécié notre retour à bord en annexe à moteur et la petite salade au thon sous le bimini enfin remis en place. Moins de 24 heures après leur avoir confié notre matériel défectueux, nos sympatiques pros grecs avaient tout réparé pour un prix vraiment modique. Le hors bord avait été complètement désossé , rincé, séché, vidangé et réessayé. “Un hivernage avant l’heure selon le mécano…” . Le bimini était complètement réparé par sa femme qui avait effectué les différents aller retour. De quoi remettre en cause l’idée reçue sur les artisans grecs un peu trop lascifs!
Nous allons pouvoir reprendre cette balade erratique, en Argolide et en Saronique, sans autre projet que de se la couler douce et de profiter du temps qui passe. Une fois n’est pas coutume… Mais c’est vraiment bien! A moins que… selon notre mécano de choc il faudra à nouveau craindre un épisode orageux à partir de demain soir. Mais cette fois ci, nous serons à l’abri!
PS: le moteur a des ratés et il n’a pas retrouvé son ralenti, rien n’est parfait…
Il n'y a pas encore de commentaire, mais laissez le vôtre !
Les commentaires sont clôturés pour éviter le spam. Veuillez utiliser le formulaire de contact si vous souhaitez nous envoyer un petit mot.