Apres cinq semaines de croisière depuis notre Normandie natale, en passant par Gibraltar, et après 28 heures dans des vents de force 10, j’attendais un accueil un peu plus chaleureux de la part des plaisanciers tunisiens. Peine perdue a Sidi Bou Said, les propriétaires de yachts, menés par des professionnels, en général des patrons de pêche, nous regardent de haut et sont vraiment désagréables… Pas de contact donc avec la population locale jusqu’au jour ou… j’aperçois un employé du port qui s’électrocute en nettoyant le quai a l’aide d’un jet, près d’une borne électrique aux fils dénudes ! Comme il se trouve près du Mayero, je sors ma gaffe et j’arrive à le sortir de ce mauvais pas. Un spectateur attentif me félicite, le courant passe et il invite l’équipage chez lui. Nous sommes 5 a bord : moi, mon aine alors age de 20 ans qui m’a accompagne depuis la France, ma femme et les deux derniers ages de 9 et 2 ans qui nous avaient rejoints à cette escale.
Notre hote ainsi que sa femme sont aiguilleurs du ciel et rêvent de faire du voilier. La relation avec Khadija et Monji, après plusieurs rencontres est tellement bonne que nous leur proposons au bout de quelques jours, de nous accompagner lors de notre prochaine étape, distante d’une quarantaine de milles, de l’autre cote du golfe de Tunis. Comme nous sommes déjà cinq a bord et que leurs deux enfants d’une dizaine d’années sont assez turbulents et imprévisibles, nous leur demandons de ne pas les amener. Marche conclu, a charge pour eux d’organiser leur retour et de prévoir leurs repas. J’apprendrai par la suite que l’obtention d’une autorisation de la part des autorités pour permettre à des tunisiens de monter à bord de bateaux étrangers est quasiment impossible a obtenir sinon par des personnes très très haut placées.
Le jour dit, après deux heures d’attente, nous voyons arriver la famille au grand complet plus un vieux monsieur en costume, assez distant et peu affable qui se révèle être le père de Monji. Apres des négociations qui tournent court, seule Khadija, a notre grand dam, reste à terre. Le grand-père s’installe d’autorité sur le roof après avoir étalé son tapis de prière et les boites de victuailles a portee de main. Il ne bougera plus de cet endroit durant toute la traversée ce qui, soit dit en passant, ne facilitera pas les manœuvres. Il mangera à lui seul tout le déjeuner en prenant bien soin en particulier, de recracher les pépins de la pastèque sur le pont du Mayero. Nous larguons les amarres, nous sommes 9 a bord.
4/5 établis notre voilier file a plus de cinq nœuds. Deux lignes de traîne sont à l’eau car Monji est venu aussi pour pêcher. Recommandations faites aux pêcheurs de ne pas prendre les vives a la main, variété très commune dans le Golfe de Tunis. Monji relève souvent les lignes car il y a du poisson et je surveille les enfants, surtout le fils qui est intenable. Monji a un peu de mal a effectuer les gestes de la vie courante : dans sa jeunesse, son bras gauche lors d’un accident, s’est enroule autour d’un essieu de camion. Emporte par son enthousiasme et déséquilibre par un coup de roulis, il lache le seau a poissons par-dessus bord. Sans que j’aie pu dire quoique se soit, il saute à l’eau pour le récupérer. Par quel miracle réussit-il à ne pas se prendre dans les lignes et a rattraper le seau, je ne saurais le dire.
Une mouette attirée par la planchette japonaise et les poissons qui flottent à la surface fait un plongeon. Monji se croyant attaque, coiffe le seau avec son bras valide et manque de se noyer. Grâce à l’équipage hors pair, j’arrive à effectuer les manœuvres et a remonter notre homme en assez mauvais état… toujours sous l’œil froid et imperturbable du grand-père, qui, malgré la gêne qu’il occasionne, ne bouge pas d'un iota. Peut être une légère anxiété se traduit par une accélération de sa gloutonnerie : les pépins et autres noyaux décorent en effet de plus en plus le pont du Mayero. Les enfants de Monji, eux, s’amusent beaucoup et sont totalement inconscients du danger que vient de vivre leur père (d’ailleurs l’intéresse en a t-il vraiment pris la mesure ?).
Bref nous séchons Monji, le réconfortons, et pendant ce temps-la, le fils voyant les poissons sur les lignes que nous avions remontées en catastrophe, se saisit, a pleines mains de deux vives qui s’y étaient accrochées. Branle bas de combat a nouveau : Chantal munie de la pharmacie s’occupe du gamin. Par chance les conséquences ne seront pas trop graves et le pitchoune, un peu assomme tout de même, en sera quitte pour un repos prolonge dans la cabine a cote de son père.
Arrives le soir, avant la tombée de la nuit, nous découvrons un petit port de pêche assez difficile d’accès et non desservi par des routes asphaltées. Le grand-père qui avait fini à lui seul tout le repas de sa famille et effectue toutes ses prieres sur son tapis, nous adresse enfin la parole et exige, a notre grand étonnement, d’effectuer le retour illico presto. Ce que, bien sur, je refuse catégoriquement, mais avec le plus grand calme et avec un beau sourire. L’équipage du Mayero propose de les héberger pour la nuit, mais cette solution est vigoureusement rejeter par le papi. Du coup nous nous désintéressons de la question, malgré les pressions de toute la famille et nous préparons notre repas.
L’ancien fait avertir par son fils la garde nationale dont le poste est installe à l’entrée du port. Les policiers pas très a l’aise tentent vainement de nous faire fléchir. Je me contente de remplir les innombrables papiers « indispensables » a toute entrée de port en Tunisie, en oubliant, a la demande de la maréchaussée, de porter la présence de nos invites. Le vieux s’énerve, engueule copieusement les représentants de l’ordre et va s’installer avec son tapis sur l’autre quai. Bien que nous ne soyons que peu concernes par le dénouement de l’affaire, nous comprenons que la tension monte et tout le port est mis à contribution : mais les taxis refusent de venir sur ces pistes et les seuls véhicules qui accèdent au port sont des 404 bâchees et encore a petite vitesse. Enfin vers minuit, Khadija, après, semble t-il un très éprouvant voyage, parviendra enfin a rejoindre ce bled perdu et a embarquer sa famille. Le grand-père, visiblement atteint dans sa dignité, ne cachera pas son mécontentement et les adieux avec le reste de la famille sont peu chaleureux..
Deux ans plus tard. je reverrai sur une plage près de Bizerte, Khadija et Monji. Les retrouvailles, un peu surprenantes, ne donneront pas l’occasion d’un nouveau départ. Ce jour-la en effet, je n’avais pas beaucoup de temps pour m’occuper d’eux ; un homme qui ne savait pas nager, etait en train de se noyer… Un de ses copains reste sur le bord appelait à l’aide. J’avais donc d’autres chats a fouetter et me jetais à l’eau… Apres le sauvetage, sans doute vexe de les avoir délaisses, Khadija et Monji avaient déplace leur matériel plus loin et ils ne me regardaient plus.
Merci a Katya de m’avoir demande de transcrire cette histoire par écrit et a Chantal de m’avoir aide à la mettre en forme…
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